- Dans ce chapitre :
- 1. Pourquoi les mouvements du pouce sont-ils si importants ?
- 2. La règle de l’atterrissage en douceur des doigts sur les touches
- 3. Accumuler et libérer l’énergie
- 4. L’importance de “armer” le pouce (et tout autre doigt)
- 5. Mouvements sur d’autres plans - synchronisation
- 6. Comment cela se passe-t-il en pratique ?
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1. Pourquoi les mouvements du pouce sont-ils si importants ?
1.1. Il est plus difficile de contrôler le pouce que les autres doigts car sa structure et sa mécanique de mouvement sont différents. Toutefois, ce sont ces différences qui nous permettront de mieux illustrer, dans l’un des chapitres prochains, les mouvements communs aux autres doigts .
1.2. L’action optimale et équilibrée du pouce est cruciale pour la technique de piano. Durant la rotation de la main (qui, en fait, est la rotation de l’avant-bras), le pouce agit de manière opposée aux autres doigts, permettant le transfert en douceur du poids de l’Appareil Moteur (AM) - incliné dans un sens il facilite la frappe avec le pouce, et incliné dans l’autre sens, il facilite le jeu avec les autres doigts.
1.3. Durant la rotation, il est important de garder les bouts des doigts aussi près que possible de la surface du clavier. Ceci requiert une flexibilité considérable au niveau du métacarpe, dont un exemple extrême est illustré dans cet extrait de vidéo.
1.4. Les illustrations ci-dessous (déplacez le curseur sur l’image, vidéo) montrent les positions extrêmes de “l’armement” de la main - avec les osselets métacarpiens soit aplatis au maximum soit élevés de manière proéminente (poussés à l’extérieur).
Ordinateur : passez le curseur sur l’image.
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1.5. De telles positions extrêmes ne sont généralement pas utilisées en pratique, bien qu’il y ait des exceptions - voici deux exemples d’utilisation d’une main très plate pour préparer l’attaque, ce que j’appelle précisément “armement” des doigts.
1.5.1. Mon premier professeur, Bolesław Woytowicz, jouait avec une telle position de la main. Malheureusement, il n’existe pas de film documentant cette manière de jouer, mais j’ai tenté de la reproduire au mieux (également du côté de l’interprétation) dans cette brève section.
1.5.2. Ignacy Jan Paderewski utilisait également une main fortement aplatie - on trouve des informations à ce sujet dans plusieurs sources. Plusieurs sources mentionnent ceci. Voici comment Magdalena Samozwaniec se souvient du récital de Paderewski à Cracovie en 1910 : “Il ressemblait à un lion ; avec ses doigts recourbés comme des griffes, il attaquait le clavier, rejetant souvent la tête en arrière.” (Magdalena Samozwaniec - “Maria et Magdalena” p. 149, Wydawnictwo Literackie, Cracovie 1964)
Beaucoup plus tôt, vers 1899, le même mouvement attira l’attention de l’illustrateur autrichien Hans Schliessmann :
(dans la collection du Musée national de Varsovie)
Et voici un cadre du film “Moonlight Sonata” de 1937 montrant la même position de la main, bien qu’elle ne soit plus aussi prononcée :
1.5.3. Par ailleurs - les concerts de Paderewski étaient si immensément populaires que des chaises additionnelles étaient même placées sur la scène, entourant le piano. De temps en temps, sans interrompre son jeu, le Maître fixait de son regard hypnotique des auditeurs assis dans sa ligne de mire. Ils demeuraient sous le sortilège de ce regard pour longtemps 😊 Ce cadre de “Moonlight Sonata" donne une bonne idée de l’intensité de son regard :
1.6. Pour revenir à la main aplatie : bien qu’une position aussi extrême ne soit pas nécessaire pour jouer, elle renforce de manière excellente les muscles métacarpiens. Et l’utilisation, dans une moindre mesure, de ceux-ci pour soutenir les doigts est absolument nécessaire - sujet que je décrirai dans les sections suivantes.
2. La règle de l’atterrissage en douceur des doigts sur les touches
Les doigts ne doivent pas tomber passivement sur les touches avec un mouvement vertical de tout le bras, car la chute libre du poids de l’AM produit un son dur et désagréable. Pour assurer un atterrissage en douceur du pouce (ou de tout autre doigt) :
2.1. Juste avant de frapper la touche, nous abaissons le poignet tout en ouvrant simultanément la main en aplatissant un peu le métacarpe. Ceci provoque une légère flexion des doigts, les élevant au-dessus du clavier comme si nous voulions instinctivement éviter de le toucher. Le pouce, s’élevant à sa base, ferme la “pince” qu’il forme avec la paume et l’index.
2.2. Puis, alors que le poignet commence à se mouvoir vers le haut (toujours en trajectoire circulaire !), nous fermons graduellement la main et redressons les doigts, en les laissant s’enfoncer doucement dans les touches.
C’est cela que Liszt exprimait lorsqu’il disait : “Prendre l’accord en rentrant légèrement les doigts vers la paume, en évitant de les laisser tomber comme des bouts de bois sur le piano.”
3. Accumuler et libérer l’énergie
La source d’énergie première du pianiste est, bien évidemment, la chute du poids de l’AM sur le clavier - c’est-à-dire la gravité. Elle ne requiert aucun effort musculaire, mais agit exclusivement vers le bas.
Ici, toutefois, nous parlons de mouvements musculaires qui :
- agissent en complémentarité à la gravité, la dirigeant et la coordonnant de manière juste,
- ralentissent et amortissent simultanément la chute du poids de l’AM, permettant le contrôle et le modelage du son.
En termes très simples :
3.1. Le mouvement descendant (↓) (accumulation d’énergie musculaire) implique :
3.1.1. Un léger abaissement du poignet,
3.1.2. L’ouverture de la main, c’est-à-dire son aplatissement (les osselets métacarpiens deviennent moins visibles), ce qui entraîne l’élévation des doigts à la base et leur courbure aux autres articulations.
3.1.2.1. C’est précisément ce mouvement qui peut être comparé à “armer” ou “activer” le doigt - il ressemble à l’étirement d’un ressort ou d’un arc. Il en va de même, d’ailleurs, pour les mouvements de la main à partir du poignet et même du bras à partir de l’épaule (vidéo).
3.1.2.2. Les muscles de la main (métacarpe) sont plus forts que ceux des doigts, et ce sont eux entre autres qui permettent “aux doigts de chuter librement” - l’un des éléments les plus importants de la méthode de Chopin (selon le témoignage de Jan Kleczyński).
3.1.3. La courbure des doigts.
3.2. Le mouvement vers le haut ↑ (libération de l’énergie par mouvement de levier) consiste à :
3.2.1. Lever le poignet,
3.2.2. Fermer la main (les osselets métacarpiens sont plus prononcés),
3.2.3. Redresser les doigts.
3.3. Cela ne signifie pas que l’un de ces mouvements est utilisé pour jouer et les autres pour se reposer ! Les deux directions sont combinées en alternance, mais le mouvement vers le haut (↑) fournit plus d’énergie aux doigts car il est plus fort. Dès lors, nous l’utilisons pour obtenir une plus grande dynamique (accents) ou pour surmonter de plus grandes difficultés techniques.
ATTENTION !
La description ci-dessus s’applique seulement aux doigts, à la main et au poignet. Cependant, l’efficacité de ces mouvements dépend du contact entre les bouts des doigts et les muscles du dos, ce qui est réalisé au travers de toutes les unités de l’AM : doigts, main, poignet, avant-bras et épaule. Une information détaillée sur le rôle du bras, de l’épaule et du dos sera présentée dans un autre chapitre.
4. L’importance de “armer” le pouce (et tout autre doigt)
“Armer” le pouce (ou tout autre doigt) pour jouer consiste à le préparer à une connexion aussi fluide et efficace que possible avec le mécanisme du piano. Le pianiste doit ressentir le contact avec la touche en deux points du doigt simultanément : le bout du doigt et l’articulation métacarpienne. Et cela avant même de toucher réellement le clavier. C’est là l’essence de l’imagination tactile.
Cependant, pour bien préparer le doigt au jeu, l’imagination tactile doit être précédée par l’imagination auditive. En effet, on ne prépare pas le doigt (ni tout le corps !) de la même manière pour une note douce en piano que pour un puissant accord fortissimo.
L’armement du pouce est particulièrement important lorsque nous changeons la position horizontale de la main sur le clavier - p. ex. en jouant des gammes et des arpèges*.
L’ouverture et la fermeture de la “pince” mentionnée précédemment (c’est-à-dire changer l’angle entre le pouce et la main), combinée avec un léger mouvement opposé du poignet, assure un “atterrissage en douceur” de la main sur le clavier, c’est-à-dire l’amortissement de la chute du poids du bras. La direction du jeu détermine l’action de l’articulation distale du pouce au moment où son bout touche la surface de la touche :
4.1. Lorsque nous jouons depuis le centre du clavier vers l’extérieur (MG ← → MD), le pouce est le premier doigt du groupe et c’est sur lui que le poids du bras tombe après que la main a été déplacée. C’est pourquoi nous devons l’armer avant cette chute et frapper la touche avec un mouvement ↑ (voir point 3.2. ci-dessus) tout en ouvrant simultanément la pince (éloigner légèrement le pouce de la main) et en redressant le pouce à l’articulation distale.
4.1.1. Grâce à un léger soulèvement du poignet, cette méthode d’amortissement ralentit en douceur la chute du poids, éliminant ainsi les accents indésirables du pouce lors de changements de position dans cette direction.
4.1.2. Outre l’amortissement, le pouce pousse également la main dans la direction du jeu - soit depuis le fond de la touche soit (en tempos très rapides) depuis l’inertie d’une touche non complètement enfoncée. Ceci est un avantage additionnel soutenant le mouvement latéral du bras et facilitant une transition lisse vers la prochaine position.
4.2. Et lorsque nous jouons dans la direction opposée (MG → ← MD), le pouce frappe la touche en tant que dernier doigt du groupe et travaille dans la direction opposée : il atteint la surface de la touche en fermant la pince et en se pliant à l’articulation distale, ce qui aide aussi à mouvoir la main dans la direction du jeu.
4.3. Dès lors, une règle très importante : ne jamais raidir le pouce (ou un autre doigt) à sa base, car cela induit une tension incontrôlée et restreint la liberté de mouvement. Cela entrave gravement la fluidité du jeu et la régularité du son. Ce principe s’applique aussi pour les articulations de la base des autres doigts (osselets).
*Une description complète des mouvements effectués en jouant les gammes et les arpèges sera donnée dans un autre chapitre. Dans la vidéo pour ce chapitre, je ne présente que de petits échantillons.
5. Mouvements sur d’autres plans - synchronisation
Les mouvements décrits ci-dessus concernent les plans dans lesquels les doigts se meuvent. Ces mouvements doivent interagir avec des mouvements sur d’autres plans, incluant :
- Rotation de la main,
- Abduction et adduction de la main,
- Poignet semi-circulaire et circulaire et micromouvements du bras,
- Ouverture et fermeture du bras au niveau du coude,
- Impulsions provenant de l’épaule et du dos.
Une description complète de la production du son sera présentée dans un autre chapitre. Toutefois, il est à souligner qu’une suspension parfaite du bras dans l’épaule (playliste) et des impulsions depuis l’épaule sont essentielles pour l’exécution correcte et la coordination de ces mouvements.
6. Comment cela se passe-t-il en pratique ?
En regardant mes exemples dans la vidéo (certains au ralenti), vous avez peut-être remarqué que, à l’exception des endroits où j’ai délibérément exagéré l’armement du pouce, cet élément technique est soit presque soit complètement imperceptible. Pourquoi ?
6.1. Déjà en 1932, Tobias Matthay faisait remarquer la distinction à faire entre ce qui est visible et invisible dans la technique de piano (“The Visible and Invisible in Piano Technique”).
6.2. En performance, les doigts peuvent être plus ou moins courbés et les osselets plus ou moins visibles. Cependant, cela ne change pas l’efficacité du métacarpe. Au contraire ! Je dis toujours que des mouvements trop larges perturbent le jeu au lieu de l’aider.
6.3. Avec beaucoup d’expérience et l’utilisation de mouvements projectifs (chapitre / playliste), l’armement des doigts se fait presque automatiquement. Vous n’avez pas besoin d’y penser ou de le stimuler dans ce cas, mais bien sûr, l’acquisition de cette technique résulte des principes exposés ci-dessus.
6.4. Par ailleurs, beaucoup de méthodes de pratique et de performance requièrent l’imagination de l’élève pour l’aider à identifier et comprendre un problème donné. À des vitesses élevées, lorsque la main obéit à des réflexes rapides comme l’éclair, les mouvements de pratique peuvent devenir complètement invisibles - ils sont soit trop petits soit trop rapides pour être vus.